Cette semaine, enfilez vos bottes en peau de phoque et votre plus belle chapka. Nous partons à la découverte de chansons venues du froid : l’œuvre du Oki Dub Ainu Band.
Il n’y a pas si longtemps, le nord du Japon était un jardin. Une forêt broussailleuse et magique peuplée de monstres et de fantômes. Une terre vierge, inconnue des empereurs de Kyoto et des samouraïs du sud. Cette île septentrionale était le territoire des aïnous, société indigène animiste vivant de la pêche et de la chasse à l’ours. Le soir, autour de l’âtre, les vieilles du village se réunissaient pour chanter la légende du dieu renard ou de l’esprit des bois.
Combattu par les forces de l’Empire, ce mode de vie a aujourd’hui disparu au profit de la civilisation nippone. Subsiste une minorité ethnique, reconnue par Tokyo. Mais, pour beaucoup, il s’agit aujourd’hui d’une culture morte destinée aux musées et aux livres d’Histoire. La musique aïnoue s’est donc muée en une attraction touristique, presque un fossile sonore.
Et puis Oki est arrivé.
Fils d’un sculpteur influent qui popularisa le design indigène, Oki a pris le relais de son père en adaptant des mélodies millénaires aux oreilles du XXIème siècle. Sa musique tient du nabé, ce plat de l’hiver où tous les ingrédients sont jetés dans une marmite fumante. Une louche de reggae jamaïcain, une pincée de riff mystique et une cuillère de chœur féminin chaloupé.
Son orchestre, le Oki Dub Ainu, s’efforce depuis plus d’une décennie de redonner à l’Aïnou – langue sauvée de justesse par quelques anthropologues – son caractère sacré, remuant et enchanté. Sur une ligne mélodique au tonkori – une petite harpe de bois au son sec et chaud – se posent des voix venues tout droit du monde des esprits. Entre rituel chamanique et incantations oniriques, le japonais ressuscite la musique d’un pays disparu le temps de quelques balades cadencées.
Les traditions aïnoues affirment que les hommes doivent suivre la voie de certains animaux-totems immortels. À choisir, les chansons d’Oki tiennent du saumon : sautillantes, toujours à contre-courant et bien décidées à rejoindre la grande rivière des origines.
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Julius, nouveau venu sur lorpheric.com