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« Ric Wilson », Pour profiter de l’optimisme d’un flow aux dessins engagés


Avant de placer les premiers mots, les premières secondes de réécoute imprègnent définitivement le déroulé de mon écriture. Or, le sampling a cela de merveilleux qu’il peut être concret. Il s’habille d’instants sonores réels, partagés par beaucoup. Ces sons nous renvoient à la mémoire de nos autres sens.

Les premières secondes de Banba me renvoient heureux dans ma chambre d’enfant, patchwork familier de couleurs, textures et jouets. L’ambiance est au goûter d’anniversaire. On passe son temps à courir, l’excitation d’être avec ses copains. Musique ! Musique pour s’allonger dans l’herbe, pour reprendre son souffle et reposer ses genoux fraîchement teintés de vert. C’est avec joie que je crois entendre ma maman poser de ces grands verres de limonade sur la table du jardin. Au simple bruit des glaçons s’entrechoquant, je pressens le jouissif contact froid et brûlant de la glace sur mes lèvres. Qu’il était bon le temps où la procrastination n’avait de sens que dans la bouche et dans l’esprit de nos parents.

Mais ces temps de douce simplicité ne sont pas sans fin. Le texte nous rappelle à l’envie d’être grand, de trouver du sens, de défendre des convictions. Se définir, lutter pour se faire reconnaître et estimer. Changer le monde ou au moins essayer.

La conciliation de ces aspirations contraires n’est pas aisée. L’agilité du flow y parvient. Sautillante, la voix affiche son optimisme devant la mission qu’elle s’est donnée. Pour avancer, elle semble s’être extirpée de la peur et des doutes inhérents à sa quête. Les rythmiques chaloupées guident une course dansante et naturelle. Se parant parfois, pour ses moments de grâce, de brillants éclats d’exubérance cuivrée.

Pourtant … Aussi agréable cet EP puisse être, entre deux suaves pressions sur le clavier d’un Rhodes, je ne peux me défaire de ce petit quelque chose me laissant en bouche une sorte de parfum factice. Un peu comme ces publicités lisses et propres. Montrant de beaux jeunes gens cordiaux au visage gentil. Il y manque un contraste, le récit de moments plus sombres, pour que ces airs agréables ne se dissipent dans une naïve monotonie.

« Nnamdi Ogbonnaya », Pour goûter une glace aux parfums atypiques.

Drool, tel est le mot que j’ai découvert grâce à cet album. Répété comme un leitmotiv, je ne sais pas s’il faut chercher son interprétation. Je crois avoir peur de briser le mystère qui fait naître la magie, de nuire à l’attrait de l’ésotérisme.

Cet album intrigue. Sa construction sonore m’est éprouvante, l’écoute demande la même attention que celle du voyageur qui crée son propre chemin en terrain inconnu. La friche a grandi, repliée sur elle-même, elle a dressé de grands murs autour de son territoire encore mal déchiffré. Mystique, l’épaisse paroi suscite en moi de la curiosité en même temps qu’une certaine prudence. Je m’avance, je suis happé. C’est cette densité dans le feuillage verbal qui nous prend en haleine dès les premiers mètres parcourus. On avance d’un pied incertain, guidé par les résonances cuivrées du vent, par les lourds battements des troncs qui s’entrechoquent. Une magie lointaine densifie le son, les souches vibrent d’une intensité électronique. Toutefois le vent est un volage, son rythme est inconstance. Il lui arrive de suspendre l’instant.

Là, seules les feuilles bougent encore comme guidées par le besoin mystique de se frotter au corps du voyageur téméraire. Par ce contact le flow ininterrompu tâche de nous révéler l’âme du lieu. L’émotion est intense. Il y a comme une douleur qui émane des racines. Noueuses et tordues, elles semblent avoir grandi dans une terre solitaire. Elles sont ressorties grandies du manque. Désormais elles chantent avec contorsion les tourments et les fiertés de leur humanité sensible.

La forêt n’est pas pour autant monotone. Plusieurs biomes la composent. On trouve des recoins inspirés par la liberté d’un jazz contemporain, quelques autres cadencés par le beat électronique d’un hip-hop d’avant-garde, d’autres enfin s’éclaircissent d’une ambiance orchestrale. Mais partout, sur les troncs ou sur les souches, on trouvera de cette mousse au parfum expérimental.

Un album exigeant, sans doute difficile, mais dont les recherches sonores et créatives méritent amplement que l’on y passe un p’tit moment, intrigué.

« Maal & Morris », Quand le Bling fait un passage en galerie.

Les albums que l’on apprend à aimer ont-ils une saveur différente des autres ? Nous paraissent-ils meilleurs, de la même façon que l’effort engagé dans un travail rend l’appréciation de ce dernier plus délectable ? Ou peut-être, car une fois la peur des eaux inconnues surmontée, ils nous révèlent des terres nouvelles, vierges et inexplorées, élargissant d’autant nos horizons musicaux. Sans prétendre à une réponse immuable je peux vous guider à la genèse de mon questionnement : Good morning I love you ?

Le miroitement sucré du champagne illumine le plafond du penthouse d’aurores d’or. Une Aphrodite plastifiée en tenue légère et à la peau tamisée s’enduit la poitrine du pétillant nectar. L’album porté à mon oreille s’incarne dans ce Ken, propriétaire de la demeure. Il sait qu’il a perdu goût à ce spectacle de sensualité synthétique et galvaudé. Le voilà « at the top ». Mais tel Bojack Horseman, bien que tout lui soit acquis, il ne parvient plus à saisir quoi que ce soit du bout de ses doigts bagués. Voici le spleen qui frappe à la porte. La vie aux élans auparavant hédonistes se dilue désormais dans un temps hachuré, aux plaisirs insipides.

Une fragilité artistique émerge de cette perte de sens. Les matières du parvenu s’effritent, se muent en formes contemporaines et minimalistes. À tâtons, leur agencement révèle une nouvelle quête d’identité. Le parvenu se légitime par le traitement sensible de ces matières synthétiques. La complainte en prendrait presque de lointaines inspirations folk. La toute confiance laisse place à l’incertitude. Le doute grésille et questionne parfois l’impuissance. Les émotions refont surface, la jouissance des plaisirs simples aussi. Toutefois, jamais la corde qui lie le parvenu à son origine ne sera coupée.

La richesse de cette orfèvrerie de pacotille est une première du genre pour mes oreilles. D’abord circonspect, surtout par mon mépris de l’auto tune, le temps m’a finalement convaincu. La séduction viendrait-elle de là où on ne l’attend pas ?

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